FLASH INFO – BARÈMES MACRON, OÙ EN EST-ON ?

Les barèmes dit « Macron » qui instituent le plafonnement des indemnités prud’homales sont entrés en vigueur pour les licenciements prononcés à compter du 23 septembre 2017, mais depuis quelques semaines, le sujet revient sur le devant la scène.

 

Pour mémoire, l’ordonnance du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail, a bouleversé de manière considérable la réparation du préjudice résultant d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

Ont ainsi été instaurés, à l’article L. 1235-3 du Code du travail, les barèmes dit « Macron », fixant un plancher et un plafond d’indemnisation pour les salariés, selon leur ancienneté et la taille de l’entreprise.

 

Seule la nullité d’un licenciement, en raison d’une discrimination ou d’un harcèlement permet de s’écarter des barèmes afin de solliciter des sommes supérieures aux plafonds fixés.

 

A la fois bienvenus pour les entreprises sécurisées par la prévisibilité du coût d’un licenciement mais décriés par les salariés pour qui le licenciement est devenu « budgétisable », les barèmes Macron n’ont cessé d’être commentés.

 

Au-delà de ce débat, le barème pouvait être interprété comme une forme de défiance vis-à-vis du juge prud’homal dont la liberté dans l’appréciation du préjudice subi par les salariés s’est trouvée encadrée, voir limitée.

Un an après leur instauration, certains Conseils de prud’hommes semblent donc entrer en résistance sur le fondement de la question de la conventionnalité des barèmes Macron aux normes internationales.

 

Mouvement de résistance politique dans un contexte de gilets jaunes ou véritable défense du droit, la question devra être tranchée par la Cour de cassation.

 

Dans l’attente, entre conventionnalité et inconventionnalité du plafonnement des indemnités, l’aléa judiciaire prend peu à peu la place de la sécurité juridique espérée par le gouvernement.

 

 

LA DIVERGEANCE DES CONSEILS DE PRUD’HOMMES

 

 

Depuis le mois de septembre 2018, les décisions des Conseils de prud’hommes s’enchainent alors que les partisans et détracteurs des barèmes Macron comptent les points.

 

Si le principe du plafonnement de la réparation du préjudice a été validé, à la fois dans son principe1 et dans sa mise en application par le Conseil Constitutionnel2, il ne lui appartenait pas pour autant de se prononcer sur la conformité du dispositif aux normes internationales.

C’est pourquoi, le débat porte aujourd’hui essentiellement sur la conformité ou non du plafonnement des indemnités prud’homales à :

  • La Charte sociale européenne, et plus particulièrement son article 24 ;

  • La Convention n°158 de l’OIT, et plus particulièrement son article 10.

 

Ces deux textes [et leur invocabilité en droit interne] sont au cœur du débat puisqu’ils imposent le versement d’une indemnité adéquate ou de toute autre forme de réparation considérée comme appropriée en cas de licenciement injustifié.

 

Le coup d’envoi a alors été donné par le Conseil de prud’hommes du Mans qui, le 26 septembre 20183, s’est prononcé en faveur de la conventionnalité du plafonnement des indemnités.

 

Cette position a été confirmée par le Conseil de prud’hommes de Caen le 18 décembre 20184, en formation de départage.

 

Toutefois, le Conseil de prud’hommes de Troyes5, premier « frondeur » de la série, jugera le 13 décembre 2018, le plafonnement contraire à l’article 24 de la Charte sociale européenne et à l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT.

 

Dans la foulée, les Conseils de prud’hommes d’Amiens6, Lyon7 (par deux fois) et dernièrement Angers8 et Grenoble9 ont par la suite rejoint la liste des juridictions résistantes à l’application du barème.

 

Dans ce match de la conventionnalité du plafonnement des indemnités prud’homales, l’avantage est à l’inconventionnalité.

 

Si les précisions et la qualité de la motivation des différents jugements sont loin d’être homogènes, la récurrence tient au sentiment, pour les conseillers prud’hommes, de ne pas pouvoir apprécier l’indemnisation adéquate du préjudice des salariés, exigée par les dispositions internationales.

 

On notera, toutefois, une constante dans 5 des 6 jugements d’inconventionnalité rendus : la faible ancienneté des salariés.

 

Pour rappel, lorsque l’ancienneté des salariés est comprise entre 1 et 3 ans, la marge d’appréciation des juges est restreinte et cantonnée à 1 mois voire un demi mois de salaire.

 

Dans ces situations, les conseillers semblent estimer qu’ils sont dépossédés de latitude quant à l’appréciation du préjudice du salarié et qu’ainsi, les plafonds ne sont pas en adéquation avec les exigences internationales.

 

A ce jour, seul le Conseil de prud’hommes d’Angers s’est affranchi du barème de l’article L.1235-3 du Code du travail dans le cadre d’une ancienneté plus élevée (de 12 ans), afin d’allouer au salarié seulement un mois de salaire supplémentaire par rapport au plafond fixé par la loi.

 

Allons nous faire face à une résistance généralisée des Conseils de prud’hommes alors que leur fourchette d’appréciation s’élargie avec l’ancienneté du salarié ?

Difficile de faire le pronostic !

 

Dans ce contexte, après six décisions s’affranchissant des barèmes Macron, comment appréhender les contentieux à venir en requalification d’un licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse ?

 

 

L’INCERTITUDE JUSQU’A NOUVEL ORDRE ?

 

Certains auteurs annoncent d’ores et déjà la mort des barèmes Macron, mais que faut-il penser réellement de cette succession de décisions ?

 

Tout d’abord, il ne faut pas oublier que, même si les décisions jugeant inconventionnel le plafonnement des indemnités font l’actualité, deux Conseils de prud’hommes ont quant à eux jugé le contraire.

 

Par ailleurs, la portée de ces décisions est limitée dès lors que le Conseil d’Etat10, saisi en référé sur la conventionnalité des dispositions critiquées a estimé que le barème n’était pas inconventionnel en raison de la possibilité d’y déroger en cas de nullité.

 

Malgré tout, dans l’attente d’une position de Cour d’appel et mieux encore, de la Cour de cassation, l’incertitude quant à la réparation du préjudice résultant d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse reste entière.

 

En effet, du fait de la médiatisation des décisions d’ores et déjà rendues, il y a fort à penser que d’autres Conseils de prud’hommes se sentiront plus légitimes à se démarquer du barème.

 

Le problème majeur de cette incertitude juridique, au-delà de l’absence de prévisibilité financière pour les entreprises, tient à l’inégalité de traitement des justiciables (salariés et employeurs) selon qu’ils seront jugés ou non sous l’empire du barème.

 

Face à cette situation, la Cour de cassation ne pourrait-elle pas être amenée à se prononcer plus rapidement ?

 

Cela semble pourtant exclu dès lors que la Cour de cassation, pouvant être saisie pour avis, a estimé que l’évaluation de la conformité des dispositions du Code du travail avec la Convention n°158 de l’OIT ne relève pas de cette procédure11.

 

Il faudra alors patienter encore plusieurs mois pour y voir clair.

 

En tout état de cause, l’exclusion du barème pourrait avoir un effet positif sur la qualité du débat judiciaire en limitant l’invocation devenue systématique de la discrimination ou du harcèlement pour tenter de le contourner…

 

 

 

 

Géraldine CHICAL & Marine GIRAUD

Avocates à la Cour

 ​​​​ 

 

geraldine.chical@chical-avocats.com

marine.giraud@chical-avocats.com

 

1

CC, 7 septembre 2017, n°2017-781 

2

CC, 21 mars 2018, n°2018-761

3

Conseil de prud’hommes du Mans, 26 septembre 2018, n°17/00538

4

Conseil de prud’hommes de Caen, formation de départage, 18 décembre 2018, n°17/00193

5

Conseil de prud’hommes de Troyes, 13 décembre 2018, n°18/00136 

6

Conseil de prud’hommes d’Amiens, 19 décembre 2018, n°18/00040

7

Conseil de prud’hommes de Lyon, 21 décembre 2018, n°18/01238 et 7 janvier 2019, n°15/01398 

8

Conseil de prud’hommes d’Angers, 17 janvier 2019, n° 18/00046

9

Conseil de prud’hommes de Grenoble, 18 janvier 2019, n°18/00989

10

CE référé, 7 décembre 2017, n°415243

11

Cass., avis, 12 juillet 2017, n°17-70.009