En droit français, le médecin du travail est la seule autorité habilitée à se prononcer sur l’aptitude physique (ou non) d’un salarié à occuper son poste de travail.
Le médecin du travail a donc un rôle déterminant sur les questions de santé au travail.
En effet, l’avis exprimé par le médecin du travail est susceptible d’impacter à la fois la carrière professionnelle du salarié, mais également l’organisation interne de l’entreprise tenue à une obligation de sécurité vis-à-vis de ses collaborateurs.
Au-delà de ces enjeux de santé au travail, l’avis du médecin du travail peut être une source d’inquiétude pour l’employeur :
Inaptitude physique qui dégénère en dossier de reconnaissance de maladie professionnelle ou d’accident du travail avec l’ombre d’une action en faute inexcusable engendrant un risque judiciaire et financier pour l’entreprise,
Inaptitude physique déclarée la veille d’un départ à la retraite alourdissant le coût du départ en contraignant l’entreprise à régler l’indemnité de licenciement,
Inaptitude physique comme outil de pression d’un salarié désireux de quitter l’entreprise pour en tirer un avantage financier dans un contexte de travail dégradé.
Dans ce cadre, et compte tenu des enjeux qui pèsent autour des avis du médecin du travail, le législateur a profondément modifié, ces derniers mois, les dispositions applicables en la matière.
La procédure a ainsi été refondue par la loi dite « Travail » du 8 août 2016 et ses décrets d’application, ainsi que par deux ordonnances « Macron », du 22 septembre 2017 et du 20 décembre 2017.
En 2018, les juges du fond ont été amenés à se prononcer à plusieurs reprises pour tenter de clarifier des dispositions légales peu claires et sujettes à des difficultés d’application.
Il nous est donc apparu nécessaire de faire un point sur les procédures applicables en cas de contestation d’un avis du médecin du travail.
LA CONTESTATION DEVANT LE CONSEIL DE PRUD’HOMMES
La loi du 8 août 2016 a profondément modifié la procédure de contestation des avis du médecin du travail.
En effet, avant cette loi, la contestation de l’avis était portée devant l’inspection du travail dont relevait l’établissement employeur, puis devant le Ministre du travail et enfin devant les juridictions administratives.
Or, depuis le 1er janvier 2017, le contentieux est dorénavant d’ordre judiciaire et la contestation des avis du médecin du travail doit être portée devant le Conseil de prud’hommes, saisi en la forme des référés.
La formation des référés sera ainsi compétente pour statuer au fond avec la particularité de n’être composée que de deux conseillers (un représentant salarié et un représentant employeur).
En application de l’article L. 4624-7 du Code du travail, le Conseil de prud’hommes doit être saisi dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l’avis médical.
Il appartiendra alors à l’employeur compte tenu des enjeux qui entourent les avis du médecin du travail d’être particulièrement vigilant compte tenu du délai de recours particulièrement bref.
∗ Qu’est-il possible de contester devant le Conseil de prud’hommes ?
L’ordonnance du 22 septembre 2017 dispose que le salarié et l’employeur peuvent former une contestation « portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposent sur des éléments de nature médicale ».
A la lecture de ce texte, il semble que la contestation doit porter sur les éléments de nature médicale d’une décision rendue par le médecin du travail.
En réalité, cette disposition suscite de nombreuses questions d’interprétation.
En effet et en premier lieu, depuis la loi du 8 août 2016, d’autres acteurs des services de santé disposent de prérogatives sur le lieu de travail : le collaborateur médecin, l’interne en médecine du travail et l’infirmier.
On peut donc aisément se demander s’il est possible de contester également les avis et les décisions des collaborateurs du médecin du travail.
En effet, avec la pénurie grandissante de médecins du travail, les salariés pourraient ne pas être reçu par le médecin lui-même, le collaborateur se retrouverait ainsi signataire de l’avis d’aptitude ou d’inaptitude.
Il sera donc nécessaire que les juridictions du fond, et la Cour de cassation tranchent la question.
En second lieu, que doit-on entendre par les termes « d’éléments de nature médicale ». Est-il possible de contester autre chose que les éléments de nature médicale, et plus particulièrement la procédure menée par le médecin ?
Les auteurs sont partagés sur le sujet et certains estiment, tout comme certaines Cour d’appel, que le non-respect de la procédure n’entre pas dans l’objet du recours ouvert devant le Conseil de prud’hommes.
Cette position est pourtant critiquable.
En effet, l’avis devrait pouvoir être déclaré inopposable à l’employeur, au même titre que les décisions rendues par la CPAM en matière de maladie professionnelle et d’accident du travail, lorsque la procédure contradictoire n’a pas été respectée.
Pour l’heure, la nature des éléments contestables devant le Conseil de prud’hommes demeure floue malgré les réformes successives.
En tout état de cause, nous rappelons que l’employeur peut mandater un médecin tiers pour l’aider à prendre sa décision de contester ou non l’avis du médecin du travail. Ce médecin tiers qui pourra notamment solliciter la communication par le médecin du travail, des éléments médicaux qui ont conduit à sa décision.
Toutefois, il est particulièrement regrettable qu’aucune disposition légale n’impose au médecin du travail de communiquer les éléments médicaux. En pratique, les médecins s’abstiennent fréquemment de les transmettre…
∗ Comment se déroule le procès prud’homal ?
La particularité majeure de cette procédure tient à l’absence du médecin du travail qui n’est pas partie (mais doit tout de même être informé de la procédure).
On peut aisément comprendre que la pénurie de médecins ne leur permet pas d’avoir le temps nécessaire pour intervenir dans la procédure. Toutefois, il pourrait être particulièrement intéressant, dans certaines situations qu’ils puissent apporter des éclaircissements quant à leur décision.
Dès lors, en l’absence d’intervention du médecin du travail, le Conseil peut s’éclairer en confiant toute mesure d’instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent.
En pratique, les Conseil de prud’hommes saisissent cette opportunité très régulièrement pour limiter les risques de mauvaise appréciation des faits.
Le médecin inspecteur pourra quant à lui entendre le médecin du travail sur la décision qu’il a rendu.
Par ailleurs, il est important de préciser que la compétence du Conseil de prud’hommes est restreinte à l’examen du recours contre l’avis du médecin du travail. Par exemple, il ne pourra pas ordonner la reprise du paiement des salaires du salarié déclaré inapte et non reclassé ni licencié à l’issue du délai d’un mois.
Enfin, la décision rendue par le Conseil de prud’hommes se substituera de plein droit à celle du médecin contestée devant lui.
Par principe, la partie perdante supporte les honoraires et frais liés à la mesure d’instruction sauf à ce que les conseillers n’en décident autrement par décision motivée.
LA CONTESTATION DEVANT LE CONSEIL DE L’ORDRE DES MEDECINS
Au-delà du contentieux judiciaire, la contestation des décisions du médecin du travail devant l’Ordre des médecins est un phénomène en progression.
L’une des problématiques majeures des avis du médecin du travail sont ceux rendus uniquement en fonction des dires des salariés, sans constat personnel des faits, sans étude des conditions de travail et sans avoir pris contact avec l’employeur.
Pourtant, il résulte des dispositions du Code de la santé publique que le document signé par le médecin doit être objectif et résulter de la réalité de l’état de santé du salarié et de constatations médicales qu’il est en mesure de faire.
Le médecin du travail est tenu par ce texte.
En conséquence, il ne peut rapporter que ce qu’il a lui-même constaté et il doit alors avoir une connaissance des conditions de travail de l’entreprise.
Ainsi, le Conseil national de l’ordre des médecins, dans deux décisions du 26 septembre 2016, a estimé qu’ « un médecin, lorsqu’il établit un certificat médical, doit se borner à faire état de constatations médicales qu’il a effectuées ; que s’il peut rapporter les dires de son patient relatifs aux causes de l’affection, ou de la blessure, constatées, il doit veiller à ne pas se les approprier, alors surtout qu’il n’aurait pas été en mesure de vérifier la véracité ; que les missions spécifiques confiées aux médecins du travail n’ont, ni pour objet, ni pour effet, de les dispenser du respect de ces obligations … ».
Le Conseil d’Etat a tenu la même position, notamment dans un arrêt du 6 juin 2018 dans lequel il a précisé que le médecin ne peut établir un certificat prenant le lien entre l’état de santé de ce salarié et ses conditions de vie et de travail dans l’entreprise qu’en considération de constats qu’il a personnellement opéré tant sur le salarié que sur son milieu de travail.
En conséquence, lorsque le médecin du travail ne fait pas une application stricte de ces principes et contrevient à ses obligations, il est possible de porter la contestation de son avis devant le Conseil de l’ordre des médecins qui est habilité à le sanctionner.
On observe d’ailleurs que de plus en plus d’employeurs s’emparent de la possibilité offerte par l’article R.4126-1 du code de la santé publique afin d’initier une procédure disciplinaire contre le médecin du travail.
Il n’est pas certain que ce type de recours soit le plus approprié.
Espérons donc que la jurisprudence viendra rapidement clarifier les zones d’ombre engendrés par la récente réforme, afin qu’un véritable débat contradictoire puisse s’engager devant le Conseil de prud’hommes non seulement sur l’avis médical rendu par le médecin du travail mais également sur la procédure qui a été menée par ce dernier.
Il y a donc fort à penser que le contentieux déjà conséquent en la matière ne va pas décroitre dans les prochains mois, au contraire !
Géraldine CHICAL & Marine GIRAUD
Avocates à la Cour
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