FLASH-INFO – LE LICENCIEMENT POUR INSUFFISANCE PROFESSIONNELLE

Chers lecteurs assidus de notre flash-info,​​ 

 

Loin de nous l’idée de faire affront à vos compétences de dirigeants, de DRH, de managers, en consacrant ce mois-ci notre flash-info à l’insuffisance professionnelle mais l’abondante​​ jurisprudence sur le sujet, nous amène à considérer que cette notion n’est pas aussi simple qu’il n’y parait.

 

L’insuffisance professionnelle, qui peut se définir comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter de façon satisfaisante l’emploi, pour lequel il a été engagé, et correspondant à sa qualification, est un motif de licenciement régulièrement utilisé par les employeurs.​​ 

 

Alors, pour éviter les pièges, vous trouverez ci-après le rappel de quelques règles essentielles.

 

COMMENT JUSTIFIER UNE INSUFFISANCE PROFESSIONNELLE ?

 

En cas de contentieux, l’insuffisance professionnelle du salarié sera appréciée par les juges en fonctions des éléments objectifs fournis par l’employeur et du contexte du licenciement.​​ 

 

  • Les éléments objectifs justifiant une insuffisance professionnelle​​ 


Pour être justifiée, l’insuffisance professionnelle doit reposer sur des éléments réels et précis.

 

De ce fait, le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse si l’employeur n’énonce aucun fait de​​ nature à établir la réalité de l’appréciation qu’il porte sur les aptitudes du salarié.​​ 


Afin d’étayer un motif d’insuffisance professionnelle, l’employeur peut donc s’appuyer sur plusieurs éléments.

 

En premier lieu,​​ les entretiens annuels​​ d’évaluation peuvent, bien évidemment, constituer un élément objectif justifiant une insuffisance professionnelle.​​ 

 

En revanche, ils ne peuvent constituer le seul élément objectif au soutien du licenciement dès lors que l’évaluation est laissée à la seule​​ appréciation de l’employeur. Les entretiens annuels doivent donc être corroborés par d’autres éléments objectifs.​​ 

 

En second lieu,​​ l’employeur pourra s’appuyer sur d’éventuelles mises en garde qui auraient été adressées au salarié, soit formelles, par courrier, soit plus informelles, par mail.​​ 

 

En effet, la circonstance que des avertissements disciplinaires antérieurs aient été notifiés au salarié pour des faits liés à l’exercice de ses fonctions ne prive pas l’employeur de la possibilité de le licencier​​ en invoquant une insuffisance professionnelle pour des faits nouveaux de même nature (Cass. Soc., 15 septembre 2009, n°07-43.748).

 

En troisième lieu,​​ l’employeur pourra également s’appuyer sur un comparatif du travail du salarié avec celui de ses collègues placés dans la même situation.​​ 

 

Le temps passé par le salarié pour accomplir une tâche pourra ainsi être un élément objectif.​​ 

 

Cette liste est bien entendu non exhaustive et l’employeur pourra produire l’ensemble des éléments qui lui sembleront pertinents dans la justification de l’insuffisance du salarié.

 

Il pourrait ainsi s’agir de plaintes de clients ou de collègues. A titre d’exemple, l’insuffisance sera établie si les tâches confiées au salarié correspondaient à sa qualification professionnelle mais que le travail devait être refait par ses collègues ou son supérieur hiérarchique (Cass. Soc., 25 septembre 2012, n°11-10.684).

 

En tout état de cause, il est absolument nécessaire que les faits justifiant l’insuffisance professionnelle soient imputables au salarié. C’est pourquoi l’analyse du contexte du licenciement peut être un élément déterminant dans l’appréciation du motif.​​ 

 

  • Le contexte de l’insuffisance professionnelle : élément déterminant dans l’appréciation du motif de licenciement

 

L’appréciation de l’insuffisance professionnelle du salarié relève en principe du seul pouvoir de direction de l’employeur. Toutefois, en cas de contentieux, les juges devront apprécier, non seulement les éléments objectifs produits par l’employeur mais également le contexte du licenciement pour juger caractérisée ou non l’insuffisance professionnelle reprochée au salarié.​​ 

 

Le contexte du licenciement aura donc une influence majeure sur l’appréciation de l’insuffisance professionnelle.​​ 

 

En premier lieu,​​ l’employeur devra justifier de son obligation de formation et d’adaptation à l’emploi, conformément à l’article L. 6321-1 du Code du travail.​​ 

 

En effet, l’employeur est tenu de maintenir la capacité du salarié à occuper son emploi, compte tenu, notamment, de​​ l’évolution des emplois, des technologies et de l’organisation de l’entreprise. Lorsque l’emploi évolue, l’entreprise est donc tenue de former le salarié et lui laisser le temps de s’adapter à son nouveau matériel par exemple.​​ 

 

L’employeur aura donc les plus grandes difficultés à justifier un licenciement pour insuffisance professionnelle s’il n’a pas rempli cette obligation légale.​​ 

 

En revanche, lorsque l’employeur a rempli son obligation de formation en adéquation avec le poste du salarié, l’insuffisance professionnelle justifie un licenciement dès lors qu’elle résultait, en l’espèce, d’un manque de rigueur (Cass. Soc., 6 mars 2019, n°17-20.886).​​ 

 

Pour information, l’employeur n’a pas l’obligation de proposer au salarié un poste de reclassement qui correspondrait à son aptitude professionnelle, même si des postes sont disponibles dans l’entreprise, sauf si la convention collective le prévoit.​​ 

 

En second lieu, les juges s’attarderont sur la carrière du salarié.​​ 

 

Ainsi, si une période d’essai validée ou​​ non renouvelée ne fait pas obstacle au prononcé d’un licenciement pour insuffisance professionnelle, il sera, en revanche, difficile de reprocher et justifier une insuffisance professionnelle à un salarié qui aurait été promu, augmenté ou félicité pour ses​​ performances peu avant la rupture du contrat.​​ 

 

Dans le même sens, il pourrait paraitre incohérent que le salarié n’ait jamais été mis en garde ou incité à revoir ses méthodes de travail.​​ 

 

Toutefois, il a été rappelé récemment qu’une ancienneté​​ importante ne s’oppose pas à un licenciement pour insuffisance professionnelle (Cass. Soc., 16 mai 2018, n°16-25.552).​​ 

 

Enfin, et en dernier lieu, les juges apprécieront les taches confiées au salarié.​​ 

 

Bien évidemment, il ne pourra pas être reproché une​​ insuffisance professionnelle au salarié si les tâches qui lui étaient confiées ne correspondaient ni à sa qualification, ni à la fonction pour laquelle il a été engagé.​​ 

 

Nous vous conseillons donc, avant le lancement de la procédure de licenciement, de vérifier les termes du contrat de travail et de la fiche de fonction du salarié afin de vous assurer que vos exigences professionnelles à son égard, sont conformes à la description de ses missions.

 

Par ailleurs, il conviendra d’être particulièrement vigilant lorsque l’insuffisance professionnelle du salarié peut résulter de son état de santé. En effet, un employeur ne peut pas sanctionner le salarié pour insuffisance professionnelle si les réserves du médecin du travail sont de nature à expliquer une telle​​ insuffisance (Cass. Soc., 19 décembre 25007, n°06-43.918).​​ 

 

 

L’INSUFFISANCE PROFESSIONNELLE : UN MOTIF DE LICENCIEMENT INDEPENDANT

 

Les contours de l’insuffisance professionnelle peuvent être particulière flous.​​ 

 

En effet, elle peut se​​ rapprocher de la négligence fautive mais ne doit surtout pas être considérée comme une faute !​​ 


Dans le même sens, l’insuffisance professionnelle doit être distinguée de l’insuffisance de résultat tout en pouvant être la cause de cette dernière.​​ 

  • L’insuffisance professionnelle n’est pas une faute disciplinaire !​​ 

 

Par principe, l’insuffisance professionnelle du salarié à son poste ne constitue pas un fait fautif, sauf à ce qu’elle résulte d’une mauvaise volonté délibérée.​​ 

 

En effet, seul un​​ comportement volontaire du salarié est susceptible d’être qualifié de faute, alors même que l’insuffisance professionnelle résulte du comportement involontaire d’un salarié.​​ 

 

Ainsi, de jurisprudence constante, les erreurs commises par un salarié qui ne relèvent pas d’une mauvaise volonté délibérée ne peuvent constituer une faute grave (Cass. Soc., 31 mars 1998, n°95-45.639 ; Cass., Soc., 27 novembre 2013, n°11-22.449 ; Cass. Soc., 22 juin 2016, n°15-10.149).​​ 

 

Il n’est pourtant pas toujours simple de distinguer la frontière entre l’insuffisance professionnelle et la négligence fautive d’un salarié.​​ 

 

Par exemple, repose sur une cause réelle et sérieuse le licenciement pour insuffisance professionnelle d’un manager qui usait d’un management agressif sur ses​​ subordonnés par le biais « d’une volonté de démotiver les équipes », « un manque de respect de la personne », « un langage insultant et dégradant », « une mauvaise communication avec son équipe dévalorisante et dénigrante », « des propos ou courriels insultants », (Cass. Soc., 2 juin 2017, n°16-13.134).​​ 

 

Dans cette affaire, l’employeur aurait pu se placer sur le terrain disciplinaire mais a fait le choix de considérer que ce comportement résultait d’une insuffisance managériale, ce qu’a validé la Cour de cassation.​​ 

 

Les risques de confusion entre les deux motifs de licenciement sont nombreux, c’est pourquoi il convient d’être particulièrement vigilant.

 

Si un employeur notifie un licenciement pour faute à un salarié sur des faits relevant d’une insuffisance professionnelle, le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse en cas de contentieux, peu important la cause de l’insuffisance avancée.​​ 

 

En effet, les juges n’ont pas la possibilité de requalifier le motif disciplinaire utilisé en motif relevant d’une insuffisance professionnelle.​​ 

 

Inversement, si un employeur notifie un licenciement pour insuffisance professionnelle sur des faits constituants un motif disciplinaire, le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse.

 

Cette​​ jurisprudence a été rappelée récemment dans un arrêt du 9 janvier 2019 (Cass. Soc., 9 janvier 2019, n°17-20.568).​​ 

 

Dans cette affaire, la salariée avait été licenciée pour insuffisance professionnelle pour divers manquements : refus de manière presque systématique de se soumettre aux directives de son responsable hiérarchique, refus de lui serrer la main, refus de s’assoir dans son bureau, critique de la politique managériale….

 

Pour la Cour de Cassation, les faits reprochés à la salariée constituant des motifs disciplinaires, le licenciement pour insuffisance professionnelle prononcé, est jugé sans cause réelle et sérieuse.

 

En revanche, il convient de préciser qu’un employeur peut invoquer, au sein d’une même lettre de licenciement, à la fois des faits fautifs et des faits démontrant une insuffisance professionnelle. Dans cette hypothèse, si l’employeur se place sur le terrain disciplinaire pour notifier son licenciement, la ou les fautes invoquées devront être justifiées pour que le licenciement soit jugé​​ comme reposant sur une cause réelle et sérieuse.​​ 

 

Enfin, on peut relever l’un des avantages de l’absence de caractère disciplinaire de l’insuffisance professionnelle : la prescription des faits invoqués.​​ 

 

En matière d’insuffisance professionnelle, la prescription de 2 mois applicable aux faits fautifs ne s’applique pas.​​ 

 

Dès lors, l’employeur pourra s’appuyer sur des éléments de faits plus anciens. Pour autant, le motif du licenciement s’appréciant à la date du licenciement, il conviendra que l’insuffisance professionnelle du salarié soit également constatée dans un temps proche de la notification.​​ 

 

  • L’insuffisance professionnelle se distingue de l’insuffisance de résultats​​ 

 

Outre la possible confusion entre l’insuffisance professionnelle et la négligence fautive, il convient également de distinguer l’insuffisance professionnelle de l’insuffisance de résultats.​​ 

 

En effet, il peut y avoir une insuffisance professionnelle si le salarié n’exerce pas ses fonctions de manière satisfaisante sans pour autant que cela se traduise par de mauvais résultats.​​ 

 

Dans le même sens, un salarié peut ne pas atteindre les objectifs fixés par l’employeur, sans pour autant avoir manifesté une quelconque insuffisance dans ses fonctions.​​ 

 

Il convient alors de définir l’insuffisance de résultats comme l’incapacité d’un salarié, dont l’activité est mesurée par des critères quantitatifs, à remplir les objectifs qui lui ont été assignés, soit en raison de son insuffisance professionnelle, soit en raison d’une carence fautive.​​ 

 

L’insuffisance de résultats ne peut donc être reprochée qu’à des salariés dont l’activité implique la fixation d’objectifs quantifiables (les commerciaux par exemple).​​ 

 

En conséquence, l’insuffisance de résultats ne pourra justifier à elle seule un​​ licenciement, elle devra être la conséquence d’une insuffisance professionnelle ou d’un comportement fautif (not. Cass. Soc., 21 mai 2002, n°00-41.423 ; Cass. Soc., 18 mai 2005, n°03-40.579).​​ 

 

Bien évidemment, pour être imputable au salarié, les objectifs​​ fixés et non atteints doivent être réalistes, le salarié ne doit pas avoir manqué d’accompagnement ou de conseil (Cass. Soc., 16 mai 2018, n°16-25.689) et doit avoir bénéficié d’un temps suffisamment long pour les réaliser.

 

 

 

En conclusion, l’insuffisance professionnelle est un motif de licenciement largement utilisé mais dont les contours et l’appréciation peuvent générer des risques pour les employeurs.​​ 

 

Il convient donc d’être particulièrement vigilant dans la rédaction de la lettre de licenciement et​​ la collecte des faits objectifs justifiant le motif invoqué.​​ 

 

Nous sommes bien évidemment à votre disposition pour vous accompagner à ce sujet.​​ 

 

Géraldine CHICAL & Marine GIRAUD

Avocates à la Cour​​ 

 

 ​​​​ geraldine.chical@chical-avocats.com

 ​​​​ marine.giraud@chical-avocats.com

 

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