A l’approche des fêtes de fin d’année, les contrôles routiers et les suspensions ou retraits de permis sont accrus.
Cette situation, si elle est contraignante d’un point de vue personnel, peut également l’être au niveau professionnel.
En effet, outre les salariés occupant des postes itinérants, comme les commerciaux, nombreux autres salariés sont amenés, pour exercer certaines de leurs missions, à utiliser un véhicule.
Ainsi, lorsque le salarié est amené à conduire un véhicule dans le cadre de ses fonctions, la détention du permis de conduire est une obligation dont l’employeur doit se porter garant.
Ce flash-infos sera donc l’occasion de faire le point sur les droits et les obligations dont dispose l’employeur sur l’ensemble des sujets touchant au permis de conduire.
LE DROIT A L’INFORMATION DE L’EMPLOYEUR
L’information de l’employeur quant à la détention du permis de conduire du salarié peut être utile, voire indispensable, à la fois lors du recrutement du salarié, et en cours d’exécution du contrat de travail.
Lors du recrutement du salarie
Lors d’un entretien d’embauche, les informations demandées à un candidat doivent avoir pour seule finalité d’apprécier sa capacité à occuper le poste proposé. Ainsi, les questions posées au salarié doivent présenter un lien direct et nécessaire avec cet emploi ou ses aptitudes1.
Ainsi, si l’emploi ne nécessite pas la conduite d’un véhicule, l’employeur ne pourra pas exiger ce type d’information de la part du candidat, cela s’apparenterait à des informations relevant à la vie privée.
En revanche, si l’emploi pour lequel le salarié passe un entretien implique la conduite d’un véhicule, l’employeur est en droit de demander au candidat, lors d’un entretien ou d’un questionnaire d’embauche, s’il possède un permis en cours de validité.
Lorsque l’emploi nécessite la conduite d’un véhicule, il est possible, voire même vivement conseillé, d’exiger la production de l’original du permis de conduire.
En effet, la jurisprudence précise que l’employeur qui ne vérifie pas la possession du diplôme dont le candidat se prétend titulaire ne pourra ensuite le licencier pour faute grave2.
Cette jurisprudence est bien évidemment transposable au permis de conduire.
Il convient toutefois de préciser qu’il est interdit de demander au candidat à l’embauche le nombre de points dont il dispose sur son permis de conduire.
En effet, le Code de la route précise que « les informations relatives au nombre de points détenus par le titulaire d’un permis de conduire ne peuvent être collectées que par les autorités administratives et judiciaires qui doivent en connaître, à l’exclusion des employeurs, assureurs et toutes autres personnes physiques ou morales »3.
L’employeur ne peut, dans le même sens, mandater un avocat afin qu’il consulte le nombre de points de son salarié auprès de l’administration.
Afin de vérifier les aptitudes du salarié, l’employeur a la faculté de faire passer une épreuve ou un test de conduite à son salarié si la conduite d’un véhicule relève de sa fonction principale.
Aucune rémunération ne sera due au candidat pour un essai effectué durant quelques heures, sauf dispositions conventionnelles plus favorables4.
En tout état de cause, lors d’un entretien d’embauche, le candidat est tenu de répondre de bonne foi lorsque les informations sollicitées sont en lien avec l’emploi proposé5.
De ce fait, les renseignements inexacts donnés par le salarié lors de l’entretien d’embauche constituent une faute justifiant un licenciement si le salarié n’avait pas les compétences effectives pour exercer les fonctions pour lesquelles il a été recruté6.
Toutefois, si le poste ne requiert pas la conduite d’un véhicule, le salarié ne pourra se voir reprocher d’avoir dissimulé l’absence de détention du permis de conduire7.
En cours d’exécution du contrat de travail
L’employeur peut demander périodiquement au salarié de prouver qu’il est toujours titulaire d’un permis de conduire, dans le cadre de son obligation de sécurité.
Afin de pouvoir solliciter cette information sans difficultés, il est préférable d’insérer dans le contrat de travail ou le règlement intérieur une clause à cet effet qui rappellera :
Que la détention du permis de conduire est nécessaire à l’exercice des fonctions du salarié ;
Que le salarié doit immédiatement informer son employeur de toute suspension ou retrait du permis.
Dans le même sens, l’employeur doit s’assurer de l’aptitude physique du salarié à conduire un véhicule.
Cela impliquera, en cas d’inaptitude, la nécessité pour l’employeur de tenter de reclasser le salarié sur un autre emploi.
LES INCIDENCES DU RETRAIT OU DE LA SUSPENSION DU PERMIS DE CONDUIRE
Lorsque le salarié, du fait de ses fonctions, est amené à conduire un véhicule régulièrement, le retrait ou la suspension de son permis de conduire peut empêcher la bonne exécution de son contrat de travail.
Alors, comment l’employeur doit-il et peut-il réagir ?
Une chose est sûre, la prudence est de mise !
Par principe, seul le trouble objectif à l’entreprise peut justifier le licenciement du salarie
A titre préliminaire, il convient de rappeler qu’il n’est pas possible de prévoir, au sein du contrat de travail, une clause de rupture automatique en raison du retrait ou de la suspension du permis de conduire8.
De surcroît et par principe, le retrait ou la suspension du permis de conduire ne pourra justifier un licenciement, sauf pour l’entreprise, à démontrer l’existence d’un préjudice.
En effet, les faits commis par le salarié peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement s’ils occasionnent un trouble objectif caractérisé dans l’entreprise et l’impossibilité d’exécuter le contrat de travail.
Dans cette hypothèse, le licenciement reposera sur une cause réelle sérieuse et ne pourra revêtir un caractère disciplinaire.
Il conviendra toutefois à l’employeur d’être particulièrement vigilant avant de prononcer le licenciement du salarié pour ce motif.
Les magistrats apprécient souverainement et sévèrement le trouble objectif causé à la société.
A notre sens, le licenciement pour trouble objectif ne sera envisageable que lorsque la conduite du véhicule était expressément nécessaire pour l’exercice des fonctions et que le retrait ou la suspension rend impossible l’exécution du contrat.
L’usage du permis de conduire doit donc avoir une place prépondérante dans l’exercice des fonctions du salarié.
La Chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi eu l’occasion de valider le licenciement d’un inspecteur commercial chargé du démarchage et de la visite de la clientèle9 ou encore d’une agent de propreté dont la suspension du permis pendant six mois l’empêchait d’exercer les fonctions pour lesquelles elle avait été engagée10.
Lorsque les conditions de recours sont réunies, l’employeur devra motiver la lettre de licenciement en faisant mention de la perturbation qui aura été occasionnée par le retrait du permis du salarié dans le fonctionnement de l’entreprise et l’impossibilité dans laquelle s’est retrouvé le salarié d’exécuter son contrat de travail11.
Par ailleurs, la jurisprudence précise que le préavis de licenciement ne sera pas du si le salarié est dans l’impossibilité totale d’exercer ses missions12.
Par exception, les sanctions disciplinaires peuvent être envisageables
En dehors de toute disposition conventionnelle sur le sujet, le régime des sanctions disciplinaire en matière de retrait ou de suspension du permis de conduire est distinct selon deux situations :
L’infraction à l’origine du retrait a été commise pendant le temps de travail ;
L’infraction à l’origine du retrait a été commise en dehors du temps de travail.
L’infraction a été commise pendant le temps de travail
Dans cette hypothèse, il est possible de sanctionner le salarié ou de prononcer un licenciement disciplinaire, pour faute grave ou simple, selon les circonstances.
En effet, l’infraction peut constituer un manquement aux obligations contractuelles du salarié.
A titre d’exemple, la faute grave pourrait être justifiée si le retrait de permis est la conséquence d’une conduite en état d’ébriété pendant le temps de travail13.
L’infraction a été commise en dehors du temps de travail
Par principe, aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée à l’encontre du salarié lorsque l’infraction à l’origine du retrait ou de la suspension de permis a été commise en dehors du temps de travail.
En effet, le retrait de permis pendant la vie privée du salarié ne peut être considéré comme un manquement à ses obligations contractuelles14, même lorsque le salarié exerce des fonctions qui nécessitent impérativement la conduite d’un véhicule.
En revanche, à titre exceptionnel, le licenciement pour faute grave d’un salarié a pu être validé dans une situation précise : celle d’un chauffeur routier dont le permis de conduire avait été retiré pour conduite en état d’ivresse15.
Le salarié étant un professionnel de la route, la Cour de cassation ayant considéré que ces faits pouvaient se rattacher à la vie professionnelle du salarié.
Dans le même sens, le retrait de permis en dehors du temps de travail pourra justifier un licenciement disciplinaire lorsque le salarié a dissimulé le retrait de son permis et qu’il a continué malgré cela à conduire des véhicules.
Avec un tel comportement, le salarié manquait à son obligation de loyauté16. En effet, cela peut caractériser un manquement à l’obligation de loyauté du salarié.
Alors en pratique, comment réagir ?
Lorsque le salarié, dont l’exercice des fonctions nécessite ponctuellement la conduite d’un véhicule, se voit retirer son permis de conduire, même ponctuellement, plusieurs solutions pourront être envisageables selon l’organisation de l’entreprise :
Affecter ponctuellement le salarié à un autre poste ;
Mettre le salarié en binôme avec l’un de ses collègues ayant le permis de conduire ;
Suspendre le contrat de travail par le biais de congés payés, congés sans solde, ou solder le compte épargne temps ;
Mettre le salarié en télétravail ;
Mettre le salarié à temps partiel afin qu’il ne se concentre que sur les tâches administratives.
Bien évidemment, cette liste n’est pas limitative.
Si l’employeur n’est pas tenu de rechercher des solutions, il est préférable, à notre sens, d’envisager toutes les options possibles avant de lancer dans une procédure de licenciement non sans risque pour l’employeur !
En effet, au-delà de l’aléa quant à l’appréciation du motif en cas de contentieux, il convient de préciser qu’en cas d’annulation par le tribunal administratif du retrait du permis de conduire, le licenciement justifié par ce retrait sera, de facto, sans cause réelle et sérieuse17 .
L’annulation du retrait ayant un effet rétroactif, le retrait du permis de conduire sera réputé n’avoir jamais existé…!
LES INFRACTIONS ROUTIERES : QUI EST RESPONSABLE ?
Sans pour autant avoir pour conséquence de suspendre le permis de conduire, l’infraction routière commise par un salarié implique un retrait de points et une amende qu’il faudra acquitter.
Dans pareille situation, qui est responsable de l’infraction routière commise par un salarié lors de l’exécution contractuelle : le salarié ou l’employeur ?
L’employeur sera responsable financièrement lorsqu’il est à l’origine de l’infraction : par exemple s’il avait sollicité de son salarié des livraisons dans un délai imparti trop court.
Dans toutes les autres situations, c’est le salarié qui est responsable.
En effet, même lorsque le véhicule est immatriculé au nom de l’employeur, ce dernier pourra se dégager de toute responsabilité financière en révélant l’identité du conducteur.
Depuis la loi du 18 novembre 2016 il s’agit même d’une obligation !
L’employeur doit communiquer l’identité du salarié auteur d’une infraction routière à l’administration compétente.
De ce fait, depuis le 1er janvier 2017, l’employeur doit dénoncer le salarié auteur de l’infraction pour toutes les infractions constatées avec des radars ou caméras de surveillance.
Pour se faire, l’employeur dispose d’un délai de 45 jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, par courrier recommandé ou par voie dématérialisée.
Si l’employeur ne dénonce pas le salarié, il commet lui-même une infraction et s’expose à une amende pouvant aller jusqu’à 750 euros.
En pratique, l’avis de contravention pour non-dénonciation de l’infraction est souvent adressé à la personne morale. La responsabilité de la personne morale présente un intérêt non négligeable puisqu’elle a pour conséquence de quintupler le montant de l’amende exigible !
Pire encore, cela n’empêchera pas de poursuivre le représentant légal de la personne morale afin qu’il réponde personnellement de cette infraction18.
L’employeur a donc tout intérêt à dénoncer le salarié auteur de l’infraction dans les délais impartis par la loi.
Il conviendra de préciser que lorsque c’est le représentant légal lui-même qui est auteur de l’infraction, le paiement de l’amende ne suffit pas à l’exonérer de cette obligation, il devra respecter la procédure de dénonciation… pour se dénoncer lui-même19 !
En conclusion, la détention du permis de conduire par le salarié peut avoir de nombreuses conséquences sur l’exécution du contrat de travail.
Afin d’éviter les désagréments liés au retrait ou à la suspension du permis de conduire, l’employeur peut, en prévention, mettre en place des formations, prévoir des primes ou des dispositions spécifiques au sein du règlement intérieur.
En tout état de cause, le mot d’ordre en la matière demeure la prudence, et l’employeur a, à notre sens, tout intérêt à ne pas agir avec précipitation.
Géraldine CHICAL & Marine GIRAUD
Avocates à la Cour
geraldine.chical@chical-avocats.com
marine.giraud@chical-avocats.com
L. 1221-6 du Code du travail
Cass. Soc., 30 mai 1991, n°88-42.029 ; Cass. Soc., 2 mai 2000, n°98-42.127
Article L.223-7 du Code de la route
Cass. Soc., 16 septembre 2009, n°07-45.485
Article L. 1221-6 du Code du travail
Cass. Soc., 30 mars 1999, n°96-42.912
Cass. Soc., 17 octobre 1973, n°72-40.360
Cass. Soc., 12 février 2014, n°12-11.554
Cass. Soc., 31 mars 1998, n°95-44.274
Cass. Soc., 15 janvier 2014, n°12-22.117
Cass. Soc., 5 février 2014, n°12-28.897
Cass. Soc., 28 février 2018, n°17-11.334
Cass. Soc., 30 septembre 2013, n°12-17.182
Cass. Soc., 3 mai 2011, n°09-67.464 ; Cass. Soc., 10 juillet 2013, n°12-16.878 ; Cass. Soc., 5 février 2014, n°12-28.897
Cass. Soc., 2 décembre 2003, n°01-43.227
Cass. Soc., 29 septembre 2014, n°13-13.661
Cass. Soc., 12 décembre 2002, n°12-13.522
Crim, 11 décembre 2018, n°18-82.820
Crim, 15 janvier 2019, n°18-82.380