Le 11 avril dernier, Pôle emploi a rendu publique son étude annuelle sur les besoins de main d’œuvre. Il ressort de cette étude que les entreprises françaises ont prévu d’embaucher massivement cette année.
Si l’on peut se réjouir de l’augmentation du nombre d’embauches prévues pour l’année 2019, on peut en revanche constater que les recrutements sont majoritairement prévus par le biais de contrats à durée déterminée.
Pourtant et pour mémoire, le CDD est un contrat dérogatoire au droit commun auquel il ne peut être fait recours que dans des cas très précis.
L’attrait des entreprises pour ce contrat précaire étant toujours aussi fort, il semble important, compte tenu de la recrudescence des jurisprudences rendues sur le sujet, de faire un bref rappel des règles applicables, en accentuant sur le cas du remplacement d’un salarié absent.
On remarquera ainsi que le recours aux CDD pourrait présenter, parfois, plus de risques pour les entreprises qu’une embauche en contrat à durée indéterminée…
LE CDD : UN CONTRAT STRICTEMENT ENCADRÉ
Les articles L. 1242-1 et L. 1242-2 du Code du travail imposent le respect de deux conditions sine qua none pour recourir au CDD :
Le CDD doit être conclu pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire ;
Le CDD ne doit pas avoir, quel que soit son motif, pour effet ni pour objet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Le CDD est alors, par essence, un contrat de travail ayant pour objet de permettre aux entreprises de faire face à une situation temporaire qui leur impose de recruter pour une durée définie.
Le Code du travail fixe ainsi, de manière limitative et selon des dispositions d’ordre public, à l’article L. 1242-2, les cas de recours autorisés, à savoir :
Le remplacement d’un salarié ou du dirigeant d’entreprise absent ;
L’accroissement temporaire d’activité ;
L’exécution de travaux temporaires par nature (les emplois saisonniers ou ceux dans certains secteurs où il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée ou encore pour effectuer des travaux de vendanges) ;
Le remplacement d’un chef d’exploitation agricole ou d’entreprise, d’un aide familial, d’un associé d’exploitation, ou de leur conjoint.
Le motif de recours utilisé doit s’apprécier et être réel, au jour de la conclusion du contrat.
Ainsi, dans l’hypothèse d’un contentieux relatif au recours à un CDD, c’est à l’employeur qu’il incombera de démontrer la réalité du motif de recours.
Le CDD devant être utilisé pour un besoin de main d’œuvre ponctuel, sa durée totale est limitée à 18 mois par l’article L. 1242-8-1 du Code du travail. Sans pouvoir dépasser cette durée maximale, il peut être renouvelé au maximum deux fois.
Malgré ce cadre juridique très strict, des souplesses ont été introduites depuis l’ordonnance dite Macron du 22 septembre 2017.
En effet, l’ordonnance offre la possibilité aux partenaires sociaux au niveau de la branche, de négocier sur la durée maximale des CDD, le nombre de renouvellements possibles et la succession de CDD sur le même poste.
En l’absence d’accord de branche étendu, les règles légales en la matière doivent être respectées.
On constate toutefois, à ce jour, que peu de secteurs se sont appropriés cette faculté de négociation sur les CDD.
L’employeur doit donc respecter, à la lettre, les dispositions légales relatives au recours au CDD.
Compte tenu de la prolifération de contentieux et de décisions rendues quant au motif du CDD de remplacement, il apparaît important de développer plus particulièrement les exigences jurisprudentielles et légales en la matière.
Focus sur le cdd de remplacement
En pratique, le CDD de remplacement est le cas de recours le plus fréquemment utilisé. Pourtant, sa mise en œuvre peut s’avérer très complexe.
L’article L. 1242-2 du Code du travail définit les cas pour lesquels le recours au CDD de remplacement est autorisé :
Faire face à toute absence ou suspension du contrat de travail d’un salarié ;
Pallier à toute demande de passage à temps partiel provisoire d’un salarié ;
Opérer un relais entre le départ définitif d’un salarié et l’entrée en service effective du nouveau titulaire du poste ;
Permettre le maintien temporaire d’un poste avant sa suppression prévue dans un certain délai.
Le CDD de remplacement est alors utilisé pour pallier l’absence d’un salarié. Il peut s’agir à la fois d’une absence de l’entreprise (en cas d’arrêt maladie ou de congés par exemple), ou d’une absence du salarié à son poste de travail (c’est l’hypothèse d’un salarié détaché temporairement sur un autre poste ou un autre lieu de travail).
Le remplacement des salariés absents peut parfois rendre la tâche difficile à l’employeur, lorsque l’absence se prolonge ou se répète. Ce sont dans ces situations qu’il convient d’être spécifiquement attentif aux durées des contrats et à la rédaction des clauses.
En effet, la jurisprudence est particulièrement stricte et abondante quant aux successions de CDD, à la fois dans l’hypothèse de l’absence successive de plusieurs salariés dans l’entreprise ou celles d’un même salarié.
Lorsque plusieurs salariés sont absents successivement
La jurisprudence admet la licéité de la succession de CDD avec un même remplaçant pour faire face aux absences de plusieurs salariés permanents dans l'entreprise, mais à certaines conditions.
Elle précise ainsi qu’un nouveau contrat doit être conclu pour chaque absence. Ils doivent alors être distincts et autonomes les uns par rapport aux autres et viser les salariés absents nommément désignés.
Malgré le respect de ces règles, l’employeur n’est pas à l’abri d’une condamnation.
En effet, très récemment, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que le CDD ne peut constituer un instrument de gestion destiné à pallier un sous-effectif permanent.
Ainsi, la succession de nombreux contrats à durée déterminée ne peut avoir pour effet d’instaurer une relation pérenne avec un salarié qui se trouve à la disposition de l’entreprise pendant plusieurs années (Cass. Soc., 23 janvier 2019, n°17-21.796).
Il convient toutefois de préciser que la loi avenir professionnel du 5 septembre 2018 introduit une souplesse, puisqu’elle autorise, à titre expérimental, de conclure un seul CDD ou un seul contrat de travail temporaire pour remplacer plusieurs salariés absents successivement.
Le manque de recul sur ce dispositif invite à la prudence.
Lorsque le même salarié est absent successivement pour des motifs différents
Cette situation vise principalement le cas très courant d’une salariée absente dans le cadre d’un congé maternité qui se poursuit ensuite par un congé parental.
Pour faire face à ces absences successives, l’employeur doit procéder à un choix initial entre conclure un CDD à terme imprécis ou un CDD de date à date.
Lorsque le CDD est conclu à terme imprécis, la rédaction de la clause relative au motif du recours est déterminante, dès lors qu’elle peut conduire à engager l’employeur pour toute la durée de l’absence du salarié, qui peut durer plusieurs années.
Lorsque le CDD est conclu de date à date et fait mention de la raison de l’absence du salarié, l’employeur devra conclure un nouveau CDD pour chaque nouvelle absence.
Les subtilités en la matière étant nombreuses, les contentieux aux fins de voir requalifier un CDD en CDI sont prolifiques.
C’est pourquoi on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt du recours à un CDD plutôt qu’un CDI.
LE CDD : UN CONTRAT PLUS RISQUÉ QU’IL N’Y PARAIT
Les exigences légales et jurisprudentielles relatives à la validité d’un contrat de travail à durée déterminée sont très nombreuses et diverses. Elles touchent à la fois aux mentions obligatoires, au motif de recours, à la durée du contrat, à son exécution, à son terme…
Autant d’impératifs qui multiplient les risques de sanctions financières non négligeables pour l’employeur.
En effet, l’invalidité d’un CDD fait courir un risque de requalification du contrat en CDI.
Le salarié peut non seulement solliciter une indemnité de requalification d’un mois de salaire, mais également l’ensemble des indemnités afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, à savoir :
Une indemnité de préavis ;
Une indemnité de licenciement ;
Des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ainsi.
Ces indemnités viennent alors s’ajouter à l’indemnité de précarité allouée au salarié à la fin de son CDD.
Au-delà des sanctions civiles, l’employeur encourt également des sanctions pénales, l’inspecteur du travail pouvant dresser des procès-verbaux en cas de constatation des infractions. Le non-respect des dispositions légales sera alors sanctionné par une amende.
Dans l’esprit de beaucoup d’employeurs, recourir au CDD est idéal et plus simple lorsqu’on ne sait pas comment va évoluer les besoins de main d’œuvre de l’entreprise ou lorsqu’on veut s’assurer que le salarié recruté sera performant à son poste.
Pourtant, on s’aperçoit que le recours au CDD fait courir des risques financiers et judiciaires importants pour l’employeur qui doit être particulièrement vigilant.
A l’inverse, le recrutement en CDI peut présenter des avantages non négligeables.
En effet, la période d’essai, plus longue en matière de CDI, permet de vérifier les compétences du salarié et de mettre un terme au contrat, sans motif, à une date plus éloignée que dans le cadre d’une embauche en CDD.
De surcroit, les modes et les motifs de rupture sont plus étendus en CDI comparativement au CDD dont seule la faute grave du salarié justifie la rupture anticipé au contrat.
Enfin, depuis les ordonnances Macron et l’instauration d’un barème pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la prévisibilité du risque judicaire augmente l’attrait pour le CDI.
En conséquence, il appartient aux employeurs de réfléchir à deux fois avant de recruter un salarié en CDD, et si cela s’avère être la meilleure option, de veiller scrupuleusement au respect de l’ensemble des dispositions légales et jurisprudentielles.
Géraldine CHICAL & Marine GIRAUD
Avocates à la Cour
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