Cela n’aura échappé à personne, le 5 décembre prochain, une grève générale nationale est annoncée par de nombreux syndicats de secteurs divers.
Face à l’impossibilité de prédire l’intensité et la durée de cette grève, de nombreuses entreprises essaient d’ores et déjà de trouver des alternatives afin que cette situation impacte le moins possible leur activité.
L’une des options envisageables consiste à accorder des jours de télétravail exceptionnels aux salariés.
Le télétravail permet aux salariés de travailler, de façon volontaire, ailleurs que dans les locaux de l’entreprise. Il peut être à la fois occasionnel ou régulier et à l’entreprise d’assurer une activité minimale.
Cette solution même ponctuelle permettra aux salariés d’éviter des temps de trajet allongés pour se rendre sur leur lieu de travail.
Au-delà de cet épisode de grève, depuis plusieurs années, le télétravail attire de plus en plus de salariés en ce qu’il leur permet de supprimer leur temps de trajet et d’améliorer l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie familiale.
Ainsi, en 2018, 44% des salariés télétravaillaient au moins deux fois par mois, contre 31% en 2017. Dans le même sens, 64% des salariés qui n’en bénéficie pas encore souhaiterait pouvoir en bénéficier1.
C’est pourquoi il nous est paru important de consacrer notre Flash-Infos de novembre aux dispositions légales et jurisprudentielles en matière de télétravail, afin que vous ayez les clés pour le mettre en œuvre, si votre activité le permet, au sein de vos entreprises.
METTRE EN PLACE LE TELETRAVAIL
Ces dernières années, les dispositions légales en matière de télétravail ont évolué afin de simplifier sa mise en œuvre.
Il conviendra donc de s’attarder sur cette nouvelle réglementation et sur les conditions d’accès au télétravail pour les salariés.
Les modalités de mise en œuvre du télétravail
Depuis les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 et la loi du 29 mars 2018, dans un objectif de faciliter le recours au télétravail, l’employeur dispose dorénavant de trois moyens pour mettre en place le télétravail, de manière permanente ou occasionnelle :
Par le biais d’un accord collectif négocié dans les conditions de droit commun ;
En cas d’échec des négociations, par le biais d’une charte élaborée par l’employeur après l’avis du CSE (s’il en existe un) ;
En l’absence d’accord collectif ou de charte, par un accord conclu entre l’employeur et le salarié concerné.
En application de l’article L. 1222-9 du Code du travail, l’accord collectif ou la charte, devra préciser :
Les conditions de passage en télétravail et de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail (notamment en cas d’épisode de pollution) ;
Les modalités d’acceptation, par le salarié, des conditions de mise en œuvre du télétravail ;
Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;
La détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail.
Jusqu’à l’entrée en vigueur des ordonnances Macron, en l’absence de dispositions légales spécifiques, les modalités de recours au télétravail étaient définies par l’Accord National Interprofessionnel du 19 juillet 2005.
Cet accord couvre la quasi-totalité des secteurs, à l’exception des professions libérales, l’agriculture, les activités sanitaires et sociales et l’économie sociale, les industries du bois, le caoutchouc, les polymères, l’enseignement privé, le spectacle vivant et la presse.
Les modalités de recours au télétravail, prévues par l’ANI de 2005 étant plus restrictives que celle de la loi du 29 mars 2018, il convient donc de se demander si l’ANI de 2005 est toujours applicable.
A notre sens, cet accord demeure applicable pour les entreprises qui n’auraient pas conclu d’accord collectif au sein de l’entreprise.
Ainsi, dès lors que le télétravail est mis en œuvre par une Charte ou un accord individuel, il y aurait lieu de respecter les dispositions de l’ANI de 2005.
En pratique, ce n’est que si le non-respect de l’ANI de 2005 cause un préjudice au salarié que la responsabilité civile de l’entreprise pourrait être engagée.
Toutefois, en présence d’une Charte ou d’un accord individuel faisant mention de l’ensemble des précisions légales exigées par l’article L. 1222-9 du Code du travail susvisé, aucun préjudice ne pourrait légitimement être invoqué par un salarié.
Les conditions d’accès au télétravail
Au-delà de la rédaction d’un accord ou d’une charte permettant la mise en œuvre du télétravail, à titre collectif ou individuel, il conviendra de vérifier si le salarié est éligible au télétravail.
En effet, le recours au télétravail suppose que le salarié puisse remplir ses fonctions de façon autonome et implique que l’activité professionnelle puisse être exercée à distance dans de bonnes conditions.
De surcroît, le télétravail ne peut s’exercer que sur la base du volontariat, aussi bien de l’employeur que du salarié.
Le plus souvent, la mise en œuvre du télétravail découle d’une demande initiale du salarié.
Aucune formalité n’est exigée par les dispositions légales ou jurisprudentielles mais il sera préférable, pour des questions probatoires, que le salarié fasse sa demande par écrit.
L’employeur ne sera pas tenu d’y répondre favorablement dans l’immédiat et pourra, bien sûr, s’accorder un délai de réflexion.
Dans l’hypothèse d’une réponse favorable
Comme il a été précisé ci-avant, si aucun accord ou charte n’existent, l’employeur et le salarié doivent formaliser leur accord par tout moyen.
Afin de respecter les exigences de l’ANI de 2005, le recours au télétravail devrait, en principe, être formalisé par le biais d’un avenant au contrat de travail.
Toutefois, comme nous avons pu le préciser précédemment, le non-respect, par un employeur, d’un ANI, peut engager sa responsabilité civile uniquement si le salarié en subit un préjudice.
Or, il semblerait qu’aucun préjudice ne puisse être invoqué par le salarié en l’absence d’avenant régularisé dès lors qu’un document formalise les conditions requises par la loi actuelle pour mettre en œuvre le télétravail. Le risque encouru par l’absence d’avenant semble donc, à notre sens, minime.
Enfin, en tout état de cause, nous vous conseillons de prévoir une période d’adaptation de plusieurs mois qui permettra pour l’employeur, de vérifier que l’absence du salarié des locaux de l’entreprise ne perturbe pas trop l’organisation du service ou de l’entreprise et que le télétravailleur s’assure que le télétravail est compatible avec sa vie privée.
A l’issue de cette période d’adaptation, l’employeur comme le salarié pourront mettre fin à cette période de télétravail en respectant un délai de prévenance qui pourrait être prévu par l’accord ou la charte.
De manière plus générale, il sera nécessaire que l’accord ou la charte prévoit les modalités permettant à l’employeur de mettre fin, de manière définitive ou temporaire au télétravail, notamment si les conditions d’éligibilité ne sont plus remplies.
Dans l’hypothèse d’une réponse défavorable
Le recours au télétravail n’étant pas un droit pour le salarié, l’employeur peut refuser d’accorder des jours de télétravail.
Plusieurs raisons peuvent justifier le refus de l’employeur à ce titre :
Le salarié ne satisfait pas l’un des critères d’éligibilité fixé par la Charte ou par l’accord de mise en œuvre du télétravail ;
Toute autre justification objective tenant par exemple à l’autonomie du salarié, sa maîtrise des outils informatique …
Le refus d’accorder le bénéfice du télétravail à un salarié devra être motivé et justifié par des raisons objectives.
C’est pourquoi il est préférable, à notre sens, de prévoir au sein même de la Charte ou de l’accord collectif, l’ensemble des justifications possibles permettant un refus d’accorder le télétravail.
A contrario, lorsque la demande initiale de télétravail provient de l’employeur, le salarié sera libre de refuser d’y recourir ou d’effectuer un nombre de jours en télétravail plus important.
LES MODALITES D’EXERCICE DU TELETRAVAIL
A titre préliminaire, il convient de rappeler que le télétravailleur dispose des mêmes droits que le salarié qui travaille dans les locaux de l’entreprise.
En pratique, les modalités d’exercice du télétravail sont définies dans la Charte ou l’accord qui autorise sa mise en œuvre.
Vous trouverez toutefois ci-dessous un rappel des dispositions principales permettant l’exercice du télétravail en toute sérénité.
La fréquence et le lieu du télétravail
La fréquence maximale de l’activité en télétravail est, généralement, définie dans l’accord ou la Charte.
Le télétravail doit s’effectuer sur journées entières et il est préférable de le limiter à un certain nombre de jours par mois afin de préserver le lien social entre le salarié et les autres collaborateurs de l’entreprise.
En ce qui concerne le lieu d’exercice du télétravail, il peut s’agir du domicile du salarié ou de tout autre lieu qui n’est pas le lieu de travail. Il convient toutefois de rappeler que le télétravail nécessite l’aménagement d’un espace de travail conforme à l’exercice des missions contractuelles.
Le salarié devra alors prévenir son assureur de l’exercice d’une activité professionnelle à son domicile pour vérifier que ce cas de figure est bien couvert par son assurance. Il est donc préférable, à ce titre, que l’accord ou la Charte impose au salarié télétravailleur de fournir une attestation de son assurance.
La prise en charge du coût du télétravail
Les nouvelles dispositions sur le télétravail, issues des ordonnances Macron et de la loi du 29 mars 2018, n’imposent plus la prise en charge, par l’employeur, des coûts engendrés par l’exercice du télétravail.
En revanche, la jurisprudence exige le remboursement des frais professionnels. Ce remboursement pourra intervenir sur la base d’un versement mensuel forfaitaire.
Cette somme forfaitaire englobe le plus souvent les dépenses liées à l’abonnement internet, les consommations d’électricité, d’eau et de chauffage.
Ces frais étant considérés comme des dépenses inhérentes à l’emploi, le remboursement peut être exclu de l’assiette des cotisations, à condition d’être justifiées par la réalité des dépenses supportées par le salarié. Ces justificatifs devront donc être conservés et présentés lors d’un éventuel contrôle URSSAF.
A ces défraiements, viendront s’ajouter la mise à disposition, par l’entreprise au salarié, des équipements nécessaires à l’exercice du télétravail, tel que qu’un ordinateur portable (outre les logiciels utiles), ainsi que le matériel nécessaire permettant de se connecter au réseau de l’entreprise à distance. Selon les situations, il peut également être nécessaire de fournir au salarié un téléphone portable professionnel.
Le temps de travail
Par principe, le temps de travail du salarié demeure inchangé pendant le télétravail.
Le salarié devra ainsi respecter les durées maximales de travail et minimales de repos quotidien.
Il conviendra toutefois d’être particulièrement vigilant au droit à la déconnexion. En effet, le manager devra fixer des plages horaires pendant lesquelles le salarié doit être joignable pendant sa journée de télétravail. En revanche, même en télétravail, le salarié devra, par principe, ne pas être dérangé pendant sa pause déjeuner et en dehors de ses horaires de travail.
Le salarié doit également pouvoir se déconnecter des équipements de travail mis à sa disposition pour le télétravail.
L’employeur devra être particulièrement attentif au respect de ce droit, notamment parce que le temps de travail est une demande récurrence dans les contentieux devant les Conseils de prud’hommes.
La santé et la sécurité des télétravailleurs
Même lorsque le salarié travaille à son domicile, l’employeur est garant de santé et de sécurité.
Il devra ainsi notamment s’assurer de la conformité de l’installation du salarié à son domicile au regard des exigences légales.
A ce titre, il pourra exiger que le salarié lui remette un diagnostic d’électricité récent ou une attestation sur l’honneur. En effet, l’employeur doit d’assurer que le salarié puisse exécuter son travail en toute sécurité.
Par ailleurs, il convient de préciser que l’article L. 1122-9 du Code du travail dispose que tout accident dont est victime un salarié sur les lieux et durant les jours et les horaires où il exerce son activité professionnelle en télétravail est présumé être un accident du travail.
Le salarié devra alors en informer sa hiérarchie dans les 24 heures afin que l’employeur puisse déclarer l’accident du travail à la CPAM.
En conclusion, les nouvelles dispositions légales en matière de télétravail permettent de simplifier sa mise en œuvre et d’assurer une grande latitude aux employeurs pour définir les modalités d’exercice.
Outre les avantages du télétravail en période de grève des services de transport ou de difficultés météorologique, le télétravail, de plus en plus sollicité par les salariés, peut s’avérer être une réelle opportunité pour l’entreprise en favorisant le bien-être des salariés.
Nous sommes bien évidemment à votre disposition pour vous accompagner dans la rédaction d’un accord ou d’une charte permettant la mise en œuvre pérenne du télétravail au sein de votre entreprise ou bien même ponctuellement durant la grève.
Géraldine CHICAL & Marine GIRAUD
Avocates à la Cour
geraldine.chical@chical-avocats.com
marine.giraud@chical-avocats.com
D’après une étude réalisée par Michael Page et Page Personnel, publiée le 26 avril 2019