FLASH-INFO – LES NEGOCIATIONS INTERPROFESSIONNELLES SUR LE TELETRAVAIL

Les recommandations gouvernementales de ces derniers mois ont considérablement contribué à l’expansion du télétravail au sein des entreprises.​​ 

 

Que le télétravail soit contraint ou souhaité, la crise sanitaire a démontré que les​​ dispositions légales actuelles ne permettaient pas d’appréhender l’ensemble des situations, et notamment celles relatives aux circonstances exceptionnelles.

 

C’est pourquoi des négociations ont été initiées entre les partenaires sociaux afin de parvenir à​​ la conclusion d’un accord national interprofessionnel sur le télétravail.​​ 

 

Le 26 novembre dernier, les partenaires sociaux ont finalisé un projet d’accord qui devrait être signé dans les prochains jours par 7 des 8 organisations représentatives des employeurs et des salariés.​​ 

 

La signature sera donc quasi unanime à la fois par le patronat (MEDEF, CPME, U2P) et par trois syndicats (CFDT, FO et CFTC). La CFE-CGC, quant à elle, a émis un avis favorable et devrait se prononcer courant décembre. En effet, l’accord est ouvert à la signature jusqu’au 23 décembre.

 

Seule la CGT a annoncé qu’elle ne signera pas le projet d’accord.​​ 

 

Même si le recours au télétravail devrait évoluer à la baisse dans les prochains mois, il n’en demeure pas moins que ce mode d’organisation peut être aussi bien nécessaire que voulu.​​ 

 

C’est pourquoi il nous est apparu utile, pour ce dernier flash-infos de l’année 2020, de faire un point sur les dispositions de ce projet d’accord afin, qu’en tant qu’employeur, vous ayez toutes les cartes​​ en main pour appréhender au mieux le télétravail l’année prochaine.

 

 

UN ACCORD NON NORMATIF

 

 

Depuis le début des négociations, le patronat a insisté pour que cet accord n’ait pas de valeur normative mais qu’il soit utilisé comme un référentiel pour les​​ entreprises.​​ 

 

Ce projet d’accord n’aura donc pas pour objectif d’instituer de nouvelles obligations à la charge de l’entreprise mais permet de rappeler les dispositions applicables en la matière et prodiguer des conseils opérationnels. Il a également le mérite d’aborder des thèmes qui n’étaient pas traités jusqu’à lors.​​ 

 

Cet accord, après sa signature, complètera donc le cadre juridique d’ores et déjà existant, à savoir, l’ANI du 19 juillet 2005 et les articles L. 1222-9 et suivants du Code du travail modifiés par l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017.​​ 

 

L’accord a surtout vocation à devenir un appui à la négociation. En effet, le Ministère du travail espère que les branches se saisiront du sujet et négocieront des accords afin de donner un cadre clair sur les modalités de mise en œuvre du télétravail.​​ 

 

Il souligne également que c’est au niveau de l’entreprise que les modalités précises de mise en œuvre du télétravail seront définies. Cet ANI sera donc un guide pour les employeurs et les syndicats pour leurs négociations en entreprise.​​ 

 

 

 

LES CONDITIONS D’ACCES AU TELETRAVAIL​​ 

 

 

Le projet d’accord rappelle que le télétravail peut être mis en place, au sein des entreprises par un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, une charte élaborée par​​ l’employeur après avis du CSE.​​ 

 

En l’absence d’accord ou de charte, le salarié et l’employeur peuvent prévoir la mise en œuvre d’un commun accord.​​ 

 

En cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure, l’accord confirme que la mise en place du télétravail s’inscrit dans le cadre d’un aménagement du poste du travail.​​ 

 

Par ailleurs, en pratique, l’accord précise que l’employeur dispose de la prérogative d’identifier les activités qui peuvent faire l’objet de télétravail.​​ 

 

Toutefois, le projet​​ d’accord rappelle que le télétravail doit alimenter le dialogue social et que le CSE doit notamment être consulté sur les conditions de mise en œuvre et le périmètre du télétravail. Le télétravail pourra donc faire l’objet de négociations en parallèle des​​ négociations sur la qualité de vie au travail ou sur le droit à la déconnexion.​​ 

 

  • Le principe du double volontariat​​ 

 

Même si les conditions d’accès au télétravail sont redéfinies, le projet d’accord maintient le principe du double volontariat. ​​ Le télétravail revêt, en effet, un caractère volontaire à la fois pour le salarié et l’employeur, sauf en cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles.​​ 

 

En revanche, si l’employeur souhaite refuser le recours au télétravail, il devra le motiver et ce, afin d’éviter des situations discriminatoires.

 

  • Formalisation de l’accord de passage en télétravail​​ 

 

L’accord conclu ou la charte définissent les modalités procédurales du passage en télétravail. A défaut, l’accord doit être formalisé « par tout moyen ».​​ 

 

Le salarié devra être informé, par écrit, du fonctionnement du télétravail : notamment concernant les équipements, le coût, les assurances, les règles de prise en charge des frais professionnels, ainsi que l’articulation entre le présentiel et le distanciel.​​ 

 

Il est par ailleurs précisé que la mise en œuvre du télétravail peut être formalisée aussi bien lors de l’embauche que lors de l’exécution du contrat de travail.​​ 

 

 

  • Période d’adaptation et principe de réversibilité​​ 

 

L’existence d’une période​​ d’adaptation est conservée, l’employeur et le salarié peuvent mettre un terme au télétravail en respectant un délai de prévenance préalablement défini.​​ 

 

Ainsi, s’il est mis fin au télétravail pendant cette période, le salarié retrouve son poste en présentiel à 100%.​​ 

 

Concernant les règles de réversibilité du télétravail régulier, elles ont été précisées.​​ 

 

De ce fait, si le télétravail faisait partie des conditions de l’embauche, le salarié bénéficiera d’une priorité d’accès à tout emploi vacant qui s’exercerait dans les locaux de l’entreprise et correspondant à sa qualification.​​ 

 

En revanche, lorsque le télétravail ne faisait pas partie des conditions d’embauche, le salarié doit retrouver son poste dans l’entreprise.​​ 

 

En tout état de cause,​​ l’employeur peut organiser des retours ponctuels dans l’entreprise pour le salarié en télétravail, en cas de besoins particulier, de son initiative ou à la demande du salarié.​​ 

 

 

 

ORGANISATION DU TELETRAVAIL

 

 

Le texte rappelle que les télétravailleurs disposent des mêmes droits en télétravail qu’en présentiel.​​ 

 

  • Fixation des horaires de travail et contrôle​​ 

 

Les plages horaires où le salarié peut être contacté sont fixées en concertation avec l’employeur. Elles doivent être en cohérence avec les horaires de travail applicables dans l’entreprise.​​ 

 

Afin de contrôler l’activité et le temps de travail du salarié par le biais de dispositifs numériques, le CSE doit être consulté préalablement et les salariés doivent en être informés.​​ 

 

A ce sujet, la CNIL a publié le 12 novembre dernier une série de questions/réponses en matière de contrôle du télétravail.​​ 

 

Elle a ainsi précisé que le contrôle des salariés en télétravail obéit aux règles de droit commun. De ce fait, les dispositifs mis en œuvre doivent être strictement proportionnés à l’objectif poursuivi et ne pas porter une atteinte excessive au respect des droits et libertés des salariés, particulièrement le droit au respect de leur vie privée.​​ 

 

  • Outils numériques

 

Le projet d’accord précise que l’employeur doit respecter l’ensemble des dispositions du RGPD et les recommandations de la CNIL.​​ 

 

Le salarié doit être informé des dispositions applicables en la matière.​​ 

 

L’employeur quant à lui, doit assurer la protection des données personnelles et de celles​​ qu’il traite à des fins professionnelles. Il doit également être informé des restrictions qui s’imposent à lui dans l’usage des équipements informatiques et des sanctions encourues en cas de non-respect.

 

  • Prise en charge des frais professionnels​​ 

 

Les frais engagés par un salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail doivent être supportés par l’employeur, peu importe la situation de travail.​​ 

 

L’accord rappelle donc que cette obligation légale a vocation à s’appliquer pour le salarié en télétravail.​​ 

 

L’employeur doit ainsi prendre en charge les dépenses qui sont engagées par le salarié dans le cadre de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’entreprise, après validation de l’employeur.​​ 

 

Cela peut être un sujet de dialogue social au sein de l’entreprise, en revanche, l’accord ne fait pas de la prise en charge des frais professionnels un thème obligatoire de négociation.

 

Le texte précise à ce sujet que l’allocation forfaitaire éventuellement versée par l’employeur pour rembourser le salarié est réputée utilisée conformément à son objet et exonérée de cotisations sociales dans la limite des seuils prévus par la loi.​​ 

 

  • Protection de la santé et accidents du travail​​ 

 

Les télétravailleurs bénéficient des mêmes protections en matière​​ de santé et de sécurité au travail que les autres salariés.​​ 

 

Le projet d’accord rappelle également que le télétravail est soumis à la présomption d’imputabilité des accidents de travail.​​ 

 

L’ANI précise qu’il doit toutefois être tenu compte du fait que l’employeur ne peut avoir une complète maîtrise du lieu dans lequel s’exerce le télétravail et de l’environnement qui relève de la sphère privée.​​ 

 

En ce sens, le télétravail doit être pris en considération dans l’évaluation des risques professionnels, notamment concernant les risques « liés à l’éloignement » et à la « régulation de l’usage des outils numériques ».​​ 

 

L’employeur doit informer le salarié en télétravail de la politique de l’entreprise en matière de santé et de sécurité, en particulier sur l’utilisation des écrans en matière d’ergonomie.​​ 

 

  • Adaptation des pratiques managériales​​ 

 

Nécessairement, la pratique du télétravail conduit à faire évoluer les pratiques managériales. Le salarié doit acquérir de l’autonomie et devient plus​​ responsabilisé.​​ 

 

Le rôle du manager est donc primordial afin de préserver la relation de travail entre le salarié et l’entreprise.​​ 

 

En application de l’accord, le manager, accompagné de sa hiérarchie, a un rôle clé dans la mise en œuvre opérationnelle du​​ télétravail, notamment parce qu’il assure ou participe à la fixation des objectifs du salarié. Il lui revient de garantir le maintien du lien social.​​ 

 

Pour faciliter le management à distance, l’accord préconise de définir les objectifs clairs pour les salariés.​​ 

 

C’est pourquoi l’accord met aussi en avant la nécessité d’assurer la montée en compétence des managers et des salariés ce qui posera la question de la formation des collaborateurs à ce nouveau mode d’organisation.

 

  • Le dialogue social et le télétravail​​ 

 

Lorsque les salariés et les acteurs du dialogue social sont en télétravail, l’exercice du droit syndical et la représentation du personnel doivent pouvoir perdurer.​​ 

 

C’est pourquoi l’ANI propose des dispositifs numériques qui permettront de maintenir le lien. Il serait donc nécessaire, au sein de la charte ou de l’accord collectif, de prévoir les modalités d’utilisation des outils numériques à destination des acteurs du dialogue social dans l’entreprise.​​ 

 

Le texte n’impose aucune pratique mais indique à titre d’exemple que certaines entreprises ont mis en place un local syndical numérique, des panneaux d’affichage en ligne, etc.​​ 

 

 

 

LE TELETRAVAIL ET LES CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES

 

 

La crise sanitaire actuelle et les​​ bouleversements engendrés en entreprise ont démontré qu’il était plus que jamais important de prévoir l’ensemble des mesures nécessaires pour pallier les difficultés liées aux circonstances exceptionnelles.​​ 

 

Les partenaires sociaux ont donc essayé, par le​​ biais de leurs négociations, d’accompagner les acteurs dans l’entreprises sur le sujet.​​ 

 

Le premier point serait d’anticiper le recours au télétravail au sein de l’accord négocié ou de la charte conclue, en cas de circonstances​​ exceptionnelles ou de force majeure.​​ 

 

Dans le même sens, l’élaboration d’un plan de continuité de l’activité est une option pertinente et envisageable.​​ 

 

Le CSE devra être consulté sur la mise en place, mais le texte précise qu’en raison de l’urgence, il​​ peut l’être a posteriori.​​ 

 

Dans cette hypothèse, le principe du double volontariat est écarté. En effet, en application de l’article L. 1222-11 du Code du travail, le télétravail est, dans ce cadre, considéré comme un aménagement du poste de travail rendu​​ nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés.​​ 

 

Les salariés devront être informés par tout moyen de l’ensemble des modalités relatives à la mise en œuvre. ​​ 

 

Le texte précise également qu’en​​ cas de circonstances exceptionnelles le salarié peut avoir à utiliser son matériel informatique quand l’employeur ne lui en a pas fourni.​​ 

 

Dans ce cas de recours, le principe de prise en charge des frais professionnels vaut également.​​ 

 

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En conclusion, si cet accord n’a pas vocation à révolutionner les dispositions en vigueur sur le sujet du télétravail, il permet de définir un cadre adapté aux évolutions technologiques et sociétales.​​ 

 

Il démontre également qu’il est nécessaire pour les​​ entreprises de se saisir de ce sujet et d’engager des négociations avec les partenaires sociaux afin de définir les règles applicables qui s’adapteront au mieux à l’activité de la société.​​ 

 

Anticiper plutôt que de subir, telle est notre préconisation.

 

Nous serons là pour vous accompagner.

 

 

Géraldine CHICAL & Marine GIRAUD

Avocates à la Cour​​ 

 

 ​​​​ geraldine.chical@chical-avocats.com

 ​​​​ marine.giraud@chical-avocats.com

 

 

 

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