FLASH – INFO – FOCUS SUR UN POINT D’ACTUALITE RECENT : TICKET RESTAURANT ET TELETRAVAILLEUR

 

Le télétravail dont nous ne mesurons pas encore pleinement les bouleversements sociétaux alimente les débats et notamment les débats judiciaires.

 

Dans le télétravail, la​​ relation employeur/salarié classique se trouve modifiée et engendre de nombreux questionnements dans l’organisation du travail et le sort des différents avantages dont bénéficient les salariés lorsqu’ils sont présents sur leur lieu de travail.​​ 

 

La délivrance des tickets restaurant par l’employeur lorsque le salarié se trouve en télétravail, est le sujet qui fait débat ces dernières semaines.

 

Nous avons donc décidé de consacrer notre flash info du mois d’avril à cette question controversée.

 

  • Point sur les​​ dispositions légales applicables​​ 

 

L’article L.3262-1 du Code du travail indique que le titre restaurant est un titre spécial de paiement remis par l'employeur aux salariés pour leur permettre d'acquitter en tout ou en partie le prix du repas consommé au restaurant ou acheté auprès d'une personne ou d'un organisme mentionné par le code du travail.

 

L’article R.3262-7 du même Code précise qu’un même salarié ne peut recevoir qu’un titre restaurant par repas compris dans son horaire de travail journalier.

 

Il​​ ressort de ces dispositions que le titre restaurant est un avantage consenti par l’employeur qui ne résulte d’aucune obligation légale. L’attribution de titres restaurant n’est possible que si le repas du salarié est compris dans son horaire de travail journalier.​​ 

 

L’employeur est donc libre de les mettre en place ou non notamment par accord collectif ou décision unilatérale, tout en respectant un certain nombre de conditions.

 

La doctrine précise d’ailleurs qu’il n’est pas interdit de subordonner son attribution à certains critères sous réserve qu’ils soient objectifs, c’est-à-dire qu’ils doivent s’appliquer autant aux télétravailleurs qu’aux salariés travaillant dans l’entreprise.​​ 

 

Il a ainsi été jugé que l’employeur peut différencier l’attribution des titres-repas en fonction de l’éloignement du travail par rapport au domicile, dès lors que cette différenciation est fondée sur un critère objectif, c’est-à-dire la distance séparant le lieu du travail du domicile. (Cass. soc. 22-1-1992 no 88-40.938   ; CA​​ Nîmes 27-3-2012 no 10-4144)

 

La question de l’attribution des tickets restaurant aux télétravailleur se pose dès lors que le code du travail dispose à l’article L.1222-9,III° que le​​ « le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l'entreprise ».

 

  • La position récente du ministère du travail​​ 

 

La dernière version des questions/ réponses relatives au​​ Télétravail en période de COVID 19​​ publié par le ministère du travail le 25 mars 2021, indique que les travailleurs peuvent bénéficier de titres restaurants si les autres salariés exerçant leur activité dans l’entreprise à condition de travail équivalentes en bénéficient également, en application du principe général d’ordre public d’égalité de traitement.

 

Aucun décret d’application n’a cependant été publié sur ce point. La position du ministère du travail a donc une valeur de préconisation et non une valeur normative.​​ 

 

  • L’Urssaf S’aligne avec les préconisations gouvernementales​​ 

 

Le site de l’Urssaf indique que le télétravailleur est un salarié à part entière et qu’il bénéficie des mêmes droits individuels et collectifs que ses collègues travaillant au sein de l’entreprise. Il doit donc bénéficier des titres restaurants.​​ 

 

Pour l’attribution de titres restaurants, l’Urssaf précise que ​​ les conditions de travail du télétravailleur doivent être équivalentes à celles des salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise : une journée organisée en deux vacations entrecoupées d’une pause réservée à la prise d’un repas.​​ 

 

Le bulletin officiel de la sécurité sociale adopte une position plus mesurée en indiquant que lorsque les travailleurs bénéficient des titres restaurants, il​​ peut en être de même​​ pour les télétravailleurs.​​ 

 

  • Les décisions jurisprudentielles récentes​​ 

 

 

 

Tribunal judiciaire de Nanterre, 10 mars 2021, n°20/09616

 

 

Rappel des faits​​ 

En l’espèce avant leur fusion, les directions des groupes Malakoff Médéric et Humanis décident d’attribuer des titres-restaurant aux salariés affectés sur un site non​​ doté d’un restaurant d’entreprise ou inter-entreprises qui sont en télétravail. 

 

Après la fusion, les entités composant l’UES Malakoff Humanis placent la plupart de leurs salariés en télétravail à compter du 17 mars 2020 en raison de l’état d’urgence sanitaire lié à l’épidémie de Covid-19 et n’attribuent plus de titres-restaurant aux salariés de l’entreprise affectés sur un site non doté d’un restaurant d’entreprise et placés en télétravail.

 

Estimant que les salariés des sociétés composant l’UES qui n’ont​​ pas accès à un restaurant d’entreprise ou interentreprises placés en télétravail doivent bénéficier des titres-restaurant, pour chaque jour travaillé au cours duquel un repas est compris dans leur horaire de travail journalier, une fédération syndicale saisit le tribunal judiciaire afin d’obtenir la régularisation de leurs droits depuis le 17 mars 2020.

 

La décision, son analyse et sa portée​​ 

En l’espèce le tribunal judiciaire déboute la fédération de sa demande, considérant que la situation des télétravailleurs et celle des salariés sur site qui n’ont pas accès à un restaurant d’entreprise et auxquels sont remis des titres-restaurant ne sont pas comparables.

 

Tout d’abord, le tribunal rappelle, comme le ministère du travail, que le titre-restaurant est un avantage consenti par l’employeur qui ne résulte d’aucune obligation légale et que la loi ne définit pas ses conditions d’attribution si ce n’est que le repas du salarié pris en charge doit être compris dans son horaire de travail journalier.​​ 

 

Il ajoute​​ ensuite que, s’il est incontestable que les télétravailleurs doivent bénéficier de titres-restaurant si leurs conditions de travail sont équivalentes à celles des salariés travaillant sur site sans restaurant d’entreprise, l’objectif poursuivi par l’employeur en finançant ces titres en tout ou en partie est de permettre à ses salariés de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile pour ceux qui seraient dans l’impossibilité de prendre leur repas à leur domicile, ce qui n’est pas le cas​​ des salariés de l’UES placés en télétravail à leur domicile. Dès lors, en l’absence de surcoût lié à leur restauration hors de leur domicile, ceux-ci ne peuvent pas prétendre à l’attribution de titres-restaurant.

 

La doctrine souligne qu’une telle décision peut sembler surprenante. En effet, même si les télétravailleurs à domicile prennent leur repas au sein de ce dernier, cela ne signifie pas que la prise de ce repas n’engendre pas un surcoût pour eux.

 

 

 

Tribunal judiciaire de Paris, 30 mars 2021,​​ n°20/09805

 

 

Rappel des faits​​ 

En l’espèce, des salariés d’une société bénéficiant de titres-restaurant format papier et placés en télétravail à compter du 17 mars 2020 en raison de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 sont informés par leur employeur de sa décision de réserver l’attribution de ces titres aux seuls employés travaillant sur site.

 

Lors d’une réunion ordinaire, le comité social et économique (CSE) informe la société de son désaccord avec cette position qui méconnaîtrait l’égalité de traitement entre les salariés, mais face au refus de l’employeur de revenir sur celle-ci, il saisit, avec un syndicat, le tribunal judiciaire afin notamment que soit attribué aux salariés en télétravail un titre-restaurant pour chaque jour travaillé depuis le 17 mars 2020.​​ 

 

La décision, son analyse et sa portée​​ 

Le tribunal judiciaire considère que la société ne justifie pas de ce que les télétravailleurs se trouvent dans une situation distincte de celle des salariés sur site en raison, notamment, des conditions d’exercice de leurs fonctions, de sorte que le refus de leur attribuer des titres-restaurant ne repose sur aucune raison objective en rapport avec l’objet de ces titres.

 

En effet, selon lui, la définition du télétravail posée à l’article L 1222-9​​ du Code du travail n’implique pas pour le salarié de se trouver à son domicile ni de disposer d’un espace personnel pour préparer son repas.

 

En outre, il déduit directement des dispositions des articles L 3262-1 et R 3262-7 du Code du travail que​​ l’objet du titre-restaurant est de permettre au salarié de se restaurer lorsqu’il accomplit son horaire de travail journalier comprenant un repas, mais non sous condition qu’il ne dispose pas d’un espace personnel pour préparer celui-ci.

 

Enfin, les conditions d’utilisation des titres-restaurant sont, pour les juges du fond, tout à fait compatibles avec l’exécution des fonctions en télétravail puisqu’elles ont pour principe directeur de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas, et qu’à ce titre les télétravailleurs se trouvent dans une situation équivalente à celle des salariés sur site.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, le tribunal judiciaire estime que les salariés en télétravail doivent bénéficier des titres-restaurant pour chaque jour travaillé au cours duquel le repas est compris dans leur horaire de travail journalier. Il fait donc droit, sous astreinte, à la demande de régularisation de leurs droits à ce titre, mais seulement à compter du 6 octobre 2020, date de l’assignation en justice puisque la régularisation ne peut pas rétroagir au-delà de la demande en justice.

 

La doctrine souligne que cette solution est conforme à la position exprimée par le ministère du travail précitée.​​ 

 

  • préconisations : le​​ dialogue avec les irp et les salaries​​ 

 

Dans l’attente d’une position claire et tranchée de la jurisprudence, ce qui pourrait prendre de longs mois, nous vous encourageons à favoriser le dialogue social sur cette question.

 

Nous restons à votre disposition​​ pour échanger sur ce sujet.

 

 

Géraldine CHICAL & Marion SCHULIAR

Avocates à la Cour​​ 

 

geraldine.chical@chical-avocats.com

marion.schuliar@chical-avocats.com

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